Notre définition du paysage : une approche dialectique

L’approche dialectique

La troisième grande famille d’approche du paysage se limite à une seule méthode : la dialectique entre le culturalisme et les réalités matérielles. Il s’agit d’un procédé, existant depuis quelques années, qui tire parti de la pluridisciplinarité et étudie le paysage de manière transversale. Les tenants de cette approche soutiennent que le paysage n’est pas seulement une donnée matérielle observable et objectivable, pas plus que le simple « miroir de l’âme » et ne réside donc pas seulement dans la psychologie du regard. Le paysage existe dans le rapport entre l’objet et le sujet[1]. Il est « à la fois la réalité et l’image de cette réalité interprétée, jugée et appréciée à partir de modèles transmis par la culture »[2]. Cette ouverture conceptuelle pose certains défis méthodologiques. En effet, avec une conception aussi large du paysage, peu de recherches peuvent aspirer à analyser l’ensemble des dimensions paysagères[3].

Force est donc d’admettre que le paysage est un concept vaste et complexe. Toutefois, nous proposons une définition opérationnelle de ce que représente, dans le cadre de ce projet de recherche, le concept de paysage. La multidisciplinarité de celui-ci constitue une richesse dont nous voulons tirer parti. Nous souhaitons dès lors unir la réalité matérielle et objectivable du paysage au caractère sensible et culturel de sa représentation. Tout en étant conscient de ses limites, une démarche dialectique nous apparaît ici pleinement justifiée.

Notre définition

Au sein de ce travail, nous abordons donc le paysage en combinant les approches de l’anthropogéographie (issue de la géographie classique), de la géographie culturelle et de l’ethnologie du paysage. Tout d’abord, l’anthropogéographie nous permet de voir le paysage comme un territoire contenant des objets « naturels » et humains. L’interaction entre ces deux éléments transforme le milieu et caractérise le paysage. Ensuite, la géographie culturelle fournit une approche pour laquelle chaque trace laissée par l’homme à l’intérieur d’un paysage raconte les aspirations collectives et individuelles. Enfin, avec l’ethnologie du paysage, nous cherchons à savoir ce qu’un groupe ou un individu valorise dans un paysage et quels sont ses critères d’appréciation affective, individuelle et sensorielle.

Nous n’excluons toutefois pas totalement les approches esthétique et artistique. De manière générale, l’influence de l’art sur la perception du paysage est une piste intéressante. Elle est aussi complétée par l’ethnologie, avec ses processus de valorisation basés sur l’affectif et le sensoriel. Par contre, nous laissons de côté les approches écologiques du paysage, puisque dans notre projet nous ne cherchons pas à connaître la distribution des êtres vivants, ni à fournir un cadre d’aménagement paysager durable et responsable. Les méthodes d’analyse visuelle ne sont pas directement impliquées dans notre approche du paysage. Nous trouvons pertinent de considérer le paysage comme une ressource visuelle à gérer, mais les méthodes de types expert et cognitif s’intéressent à l’appréciation du paysage, sans toutefois expliquer les facteurs constitutifs de cette appréciation.

En combinant transversalement les approches choisies, nous arrivons à formuler une définition opérationnelle de ce qu’est le paysage pour notre mémoire. De manière succincte, nous considérons ici que le paysage est la relation objective et subjective entre les composantes humaines et géophysiques d’un espace. Nous avançons que le paysage est un espace vu et vécu, composé de deux types d’éléments en relation (géophysiques et humains). En étant en relation, ceux-ci se transforment réciproquement : l’espace est donc en constante évolution. Cette évolution est le reflet des aspirations d’une communauté et est soumise à l’appréciation esthétique, affective et sensorielle de chaque observateur.


[1] Augustin Berque, « Introduction », in Augustin Berque (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, éditions Champ vallon, 1994 p. 5.

[2] Pierre Donadieu, « Du désir de campagne à l’art du paysagiste », L’espace géographique, vol. 3 (1998), p. 194.

[3] Philippe Poullaouec-Gonidec, Gérald Domon et Sylvain Paquette, op. cit., p. 34.