Le paysage comme manifestation culturelle

La seconde grande famille d’approches du paysage considère celui-ci comme une manifestation culturelle. Elle se divise en trois domaines : l’esthétisme, la géographie culturelle et l’ethnologie du paysage.

L’esthétisme

Pour l’esthétisme, le paysage ne se réduit pas aux données visuelles, mais est caractérisé par la subjectivité de l’observateur et est autre chose que la morphologie de l’environnement. La valorisation du paysage passe par un sentiment d’esthétisme. Pour Augustin Berque, auteur incontournable de l’approche esthétique du paysage, seulement deux civilisations ont apprivoisé le paysage : la Chine (à partir du 4e siècle) et la civilisation occidentale (à partir du 16e siècle). Ce sont les deux seules à répondre aux quatre exigences des civilisations paysagères qu’il postule, soit : faire usage d’un ou de plusieurs mots pour dire paysage, avoir une littérature orale ou écrite décrivant des paysages, produire des représentations picturales de paysages et aménager des jardins d’agrément[1]. De plus, le regard que l’observateur porte sur le paysage est modifié par l’art (littérature, peinture,  photographie, cinéma). Par exemple, les premières représentations picturales du rivage en Europe du Nord seraient en partie responsables de l’invention des pratiques balnéaires, le rivage étant auparavant fréquenté seulement par des pêcheurs[2].

La géographie culturelle

La géographie culturelle soutient que le paysage est un espace non seulement observé, mais vécu. L’étude d’une émotion esthétique positive ou négative, en lien avec l’observation d’un paysage, est secondaire. Ici, il s’agit plutôt de voir en quoi le paysage est le reflet des actions et des valeurs d’un groupe social qui habite le territoire[3]. Pour John Brickerhoff Jackson, influent chercheur en géographie culturelle, le paysage est une « composition d’espaces, faits ou modifiés par l’homme, pour servir d’infrastructure ou d’arrière-plan à notre existence collective »[4]. L’approche de la géographie culturelle permet, par exemple, de voir comment certaines organisations spatiales sont susceptibles de correspondre à certains comportements sociaux et religieux[5]. Tout territoire marqué par l’humain devient paysage. Qu’elle soit rurale, urbaine ou industrielle, chaque trace laissée par l’homme à l’intérieur d’un paysage raconte les aspirations collectives et individuelles. Le paysage de la géographie culturelle correspond particulièrement aux espaces ordinaires et quotidiens, qui produisent un sens pour les groupes sociaux qui y vivent[6].

L’ethnologie

L’ethnologie du paysage soutient pour sa part que les modes de valorisation du territoire ne passent pas seulement par une appréciation esthétique. Cette approche avance que d’autres rapports qualitatifs au territoire (d’ordre affectif, relatif à une mémoire individuelle ou lié à un usage singulier) jouent aussi un rôle dans l’appréciation du paysage. Pour cette approche, il est également important de chercher à savoir ce qu’un groupe ou individu valorise sur un territoire. Et reconnaît donc que l’individu est un agent actif dans l’appréciation d’un lieu. Ainsi, au travers d’une expérience récréotouristique (randonnée pédestre ou en kayak par exemple), la qualité de l’expérience influe sur l’appréciation du paysage. La fabrication du paysage est donc indissociable de l’expérience individuelle du lieu et fait aussi appel au sens du toucher, de l’ouïe et de l’odorat[7].

 


[1] Augustin Berque, « Douter du paysage», in Augustin Berque (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, éditions Champ vallon, 1994 p. 16.

[2] Philippe Poullaouec-Gonidec, Gérald Domon et Sylvain Paquette, op. cit., p. 28.

[3] Ibid., p. 30.

[4] John Brickerhoff Jackson, À la découverte du paysage vernaculaire, Arles, Actes sud, 2003 p. 56.

[5] Ibid., p. 56.

[6] Philippe Poullaouec-Gonidec, Gérald Domon et Sylvain Paquette, op. cit., p. 31.

[7] Ibid., p. 32.